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Forme et plantes

Bruno Gadrat - février 2000 - rev 12/06/2000
gadrat/articles/2000/20000404bg-forme_et_plant.html


Cet article explore les divers aspects des formes des plantes au travers des modes symboliques et sensibles de représentation du jardin. Le jardin souffre d'une absence de maîtrise de sa forme végétale, de son design par les végétaux. Mais de quelle forme parle-t-on ? Les nombreuses descriptions de la forme des végétaux omettent l'essentiel pour l'architecte de paysage. La plante est la représentation du jardin. Cette différence fondamentale entraîne la nécessité de repenser la forme des plantations au travers des langages de communication et de leur apprentissage par les individus. La durabilité des formes des plantations mais aussi des espèces biologiques en dépend.

Des formes de plantations approximatives.

Peut-on imaginer un jardin sans formes ? La question semble inconvenante car notre rôle d'architecte paysagiste est d'inventer des jardins qui seront réalisés, donc mis en forme. D'autre part les idées les plus opposées au carcan de la forme comme le Zen ont produit des jardins dessinés avec un soin extrême(1). La majorité des jardins comportent des plantations dans une proportion importante du volume du jardin. La maîtrise de la forme du végétal devrait par conséquent être essentielle. Pourtant une grande variation entre les formes du projet végétal et celles de l'aménagement réalisé est souvent acceptée comme normale. Peut-on réduire cette tolérance à la déformation pour mieux maîtriser notre œuvre végétale ? Certainement si on sait sur quelle forme on peut agir.

Des descriptions de formes nombreuses et diversifiées pour la même plante.

Ce ne sont pas les descriptions des formes du végétal qui manquent. Les botanistes ont décrit les feuilles, les tiges, les bourgeons mais d'abord et avant tout les fleurs à la base de leur classification. Les forestiers ont décrit les troncs et leurs écorces. Les phytosociologues ont décrit les groupements végétaux; les biologistes sont particulièrement intéressés par les types biologiques et les phases successives de développement. Les horticulteurs, soucieux de productivité, ont normalisé des catégories de formes dans leurs pépinières. Les concepteurs et chroniqueurs de jardins on ajouté quelques formes de groupement de plantations typiques de divers styles. Les mathématiciens ont inventé la géométrie fractale et les algorithmes de développement pour mieux décrire les formes de la nature(2). Sans que cela vienne clore une liste déjà très longue, tout un chacun, si on lui demande de dessiner un arbre, tracera sa forme par un cercle plus ou moins déformé (le feuillage) coiffant deux traits verticaux (le tronc).

Les plantes ne sont pas le jardin.

La représentation des plantes prend donc des formes multiples, spécifiques à chaque groupe d'utilisateurs. Si nous ne savons pas représenter la forme de la plante, notre client ne nous laissera pas faire le jardin. C'est pour lui un signe indiscutable de notre connaissance du végétal. -- Le piège est tendu. -- Avez-vous cru un instant que notre travail pouvait s'assimiler à tous ces efforts de représentation de la forme des plantes ? Probablement puisque c'est le sentiment général signifié par la demande. L'erreur n'est pas dans notre obligation à savoir représenter du végétal, c'est en effet une nécessité pour pouvoir travailler et faire pousser les plantes(3).
L'erreur est dans la formulation de la question. Celle-ci se trompe de sujet. Notre mission fondamentale n'est pas de représenter le végétal mais de faire un jardin, c'est-à-dire représenter un monde meilleur. Le végétal est la représentation et non pas le sujet de celle-ci.

D'autres pistes plus culturelle que naturelle pour la représentation par la forme.

Les linguistes, sémiologues, psychologues et physiologues ont défriché pour nous des chemins qu'il nous faut maintenant explorer pour décrire la forme du végétal aux fins de projet.
La forme naturelle de la plante résulte de la potentialité biogénétique de la plante contrôlée par son milieu écologique. Les arbres "urbains" dans les jardins, les rues ou les fermes n'ont ni leurs formes ni leurs dimensions naturelles. Les raisons du phénomène sont à chercher dans nos systèmes d'apprentissage de la représentation et en particulier des étapes symboliques des représentations par les formes.

Les étapes de l'apprentissage du dessin par symboles.

Notre connaissance des plantes pour faire des jardins passe par les six mêmes étapes que celles de l'apprentissage du dessin par les enfants(4): stade du griffonnage, des symboles, des histoires, du paysage symbolique, de la complexité et du réalisme. Les étapes suivantes sont si exceptionnelles qu'on les négligera pour l'instant.

Le stade initial du griffonnage, à partir d'un an et demi permet de faire apparaître des traces sur le papier qui remplissent des surfaces.
Le stade suivant, vers trois ans et demi, correspond à l'apprentissage des symboles. L'enfant se rend compte qu'un tracé peut être associé à un élément du monde environnant et le représenter.
Au stade des histoires, vers quatre ou cinq ans, l'enfant ajuste ses symboles pour qu'ils deviennent expressifs. Le symbole est représenté dans une action ou un état particulier.
Vers cinq ou six ans l'assemblage des symboles s'organise dans un paysage symbolique. Il comprend à la fois des éléments de l'espace environnant comme le ciel, la terre, les nuages ou les arbres mais aussi des éléments plus proches de l'enfant comme le père, la mère, le frère ou la sœur et des détails particulièrement importants dans sa vie comme les rideaux aux fenêtres ou la poignée sur la porte pour entrer dans la maison.
Au stade de la complexité, vers neuf ou dix ans, la précision extrême est recherchée dans le détail des formes au détriment de la composition générale.
Vers dix ou douze ans, le besoin de réalisme dans le dessin est primordial pour l'enfant. Du fait qu'il dessine en mode symbolique, il cherche à représenter les choses telles qu'il les connaît. Les dessins ne sont alors pas réalistes car les choses telles qu'on les voit ne sont pas conformes à ce que l'on en sait. C'est un stade particulièrement troublant dans l'apprentissage de la représentation par les formes. Devant la difficulté, la plupart des gens arrêtent leur apprentissage du dessin. Pour progresser dans ce stade de la représentation, il faut abandonner le mode symbolique jusqu'alors utilisé et passer dans un mode sensible conforme à la perception par nos sens.

La représentation du jardin avec les plantes suit la même progression que l'apprentissage du dessin par l'enfant.

Les plantes du jardin sont les crayons de couleur pour dessiner le jardin. La représentation symbolique par les plantes est le mode de communication dominant la création des jardins par les particuliers, ainsi que la lecture et l'entretien des espaces publics. Les architectes paysagistes doivent en tenir compte car même si leurs compositions sont écrites en mode sensible, elles seront lues et surtout réécrite au jour le jour par un entretien des formes des plantations en langage symbolique.

Griffonnage avec les plantes.

Avez-vous remarqué avec quelle délectation le nouveau propriétaire jardinier s'aperçoit de sa capacité à faire pousser une plante. Au stade du griffonnage, le jardin se remplit d'essais de la matière première qu'est la plante. Cette frénésie de plantation se caractérise par le remplissage de tout l'espace disponible et par une forte densité des plantes sans rapport avec leur croissance à venir. Celles qui se sèment facilement, comme les Alcea rosea (rose trémière) ou les Cosmos bipinnatus, envahissent alors le jardin. À ce stade, le nombre de Petunias, Tagetes (oeillet et rose d'Inde) et Impatiens n'est limité que par le budget ou le temps disponible pour la plantation. Toutes les plantes, arbres, arbustes, fleurs, fines herbes, sont essayées. Loin d'être un enfantillage, le griffonnage est essentiel à la connaissance sensible des plantes; il permet d'en voir les différentes densités, superpositions et matières obtenues en fonction des fonds utilisés. Mais ces essais, qui seraient fort utiles pour le stade sensible du réalisme, sont très vite abandonnés au profit de la représentation symbolique par les plantes.

Des plantes symboles

Des symboles personnels.
Après avoir saturé le jardin de plantes, elles sont utilisées pour représenter un élément du monde environnant: c'est le stade des symboles. Quelques essais avaient été faits pendant l'enfance dans le jardin des parents ou d'un oncle. Mais cette intrusion dans la représentation de quelqu'un d'autre restait alors fortement contrainte par le propriétaire du jardin. Cet apprentissage ne peut vraiment se mettre en place que si on est maître du jardin. L'arbre planté devant la porte représente celui dans lequel nous grimpions étant enfant, ou notre enfant, ou une fête de Noël; il nous suffit de le dire. Chaque nouvelle plantation est l'occasion d'une association entre la plante et la signification donnée que son auteur est souvent le seul à connaître. La même espèce de plante peut représenter n'importe quoi. Une très légère variation dans la longueur ou l'orientation des branches sera suffisante pour accréditer l'authenticité de cet attribut.
Ces symboles sont invisibles sans une discussion avec le propriétaire et toute atteinte involontaire aux plantes concernées devient une catastrophe.

Des symboles sociaux.
Certains symboles sont partagés par un grand nombre de personnes. Un Pelargonium (géranium) dans la cuisine, c'est la nature chez soi. Au Québec, un Acer (érable) et un Iris risquent d'entraîner les visiteurs dans une discussion politique. Le symbole végétal est souvent arbitraire mais parfois appuyé sur une expérience réellement vécue. La métonymie végétale est alors souvent utilisée. Un Betula papyrifera (bouleau à papier) devant la porte suffit pour évoquer la forêt proche dont il est l'élément le plus facilement identifiable. Un Acer saccharum (érable argenté) nous dira l'érablière et ses parties de sucres.
Dans son utilisation comme symbole, la forme de la plante n'est pas essentielle; en revanche certaines parties de sa forme peuvent l'être. Un tronc droit et haut fait partie du monde symbolique du forestier avec pour conséquence que l'arbre devra être coupé dès qu'on pourra en faire des planches ou des poutres.
Ces symboles sociaux diffusent suffisamment dans la société pour être toujours présents et devenir des caractéristiques d'analyse du projet aussi importantes que le microclimat ou la nature du sol. Les plantes survivent rarement à un contresens symbolique.

Dans le jardin il y a des arbres.
La confusion signalée entre la représentation des plantes et la représentation du jardin par les plantes trouve ici sa raison. Le jardin est la représentation du monde de son propriétaire. Que serait un monde sans arbres, sans buissons, sans épinettes (conifères) ?

Il faut donc que ces grandes catégories de plantes soient représentées dans le jardin.

Dans sa forme naturelle, la plante ne ressemble pas assez à la grande catégorie dont elle fait partie. Elle ne peut donc pas être utilisée comme signe efficace. La forme de la plante doit être tracée avec plus de soin. L'art de la taille et de la tonte permettent cette écriture par symboles.

La forme symbolique de la plante est utilisée pour écrire les plantes génériques dans le jardin. Il n'est pas nécessaire que la plante appartienne à la catégorie qu'elle doit représenter. Les individus végétaux sont alors taillés pour exprimer la forme générique de l'arbre par une boule sur un tronc, du buisson par une boule au sol ou de l'épinette par un cône.
La forme symbolique est à la fois un signe qui nous permet de la reconnaître et un moteur important pour la transformer en ce qu'elle doit être pour correspondre à ce que nous pensons d'elle(5). Pour que le signe soit lisible, il faut qu'il puisse être vu d'un seul coup d'oeil. Les plantes ainsi taillées seront donc toujours relativement petites.

Des symboles très actifs qui exercent une forte contrainte sur la forme des plantes.
Force nous est de constater que la plupart des plantes ligneuses existantes au Québec relèvent actuellement de cette forme d'écriture par symboles. Les vieux arbres sont extrêmement rares. La symbolique forestière très présente dans notre culture conduit à les couper dès que le tronc est beau.
La forme symbolique des plantes domine aussi dans les pratiques d'entretien des arbres, des épinettes et des buissons qui sont régulièrement taillés avec le plus grand soin.
La dominance de la lecture symbolique fait enfin ignorer un grand nombre de plantes qui ne disent rien, ne sont pas reconnues, et sont en conséquence coupées sans ménagement pour faire passer des fils électriques ou des constructions.

Des plantes expressives pour raconter des histoires.

Avec le stade des histoires, la combinaison des symboles et surtout les ajustements qui leurs sont apportés permettent de rendre le jardin expressif. Des plantes bizarres, achetées sur un coup de coeur dans les pépinières, sont révélatrices de l'état d'âme du moment ou d'un souvenir de voyage. L'entretien des plantes devient primordial. Le Betula papyrifera devant la maison est taillé très régulièrement pour dire que le monde est simple, net et que le propriétaire le maîtrise parfaitement. Est-il petit ? dominé par les Paeonia (pivoines) et Hosta de grand-mère ? Dans ces ensembles symboliques, les déformations et les exagérations deviennent les clefs de la lecture en fournissant l'importance relative des symboles. À ce stade, c'est la situation du moment, les problèmes vécus par le jardinier qui sont écrits dans le jardin. Les petites plantes pleureuses ou tordues marquent cette période où la volonté de s'exprimer utilise les formes les plus criantes. On identifie les histoires par des plantes isolées ou des petits regroupements de plantes qui sont signifiantes mais sans faire un tout à l'échelle du jardin. A ce stade, le jardin est instable. Les plantes sont déplacées, remplacées, entretenues de façons différentes d'une plante ou d'une année à l'autre pour actualiser le récit. Les arbres, par les discontinuités de leurs branches, gardent les traces des énoncés successifs sur la maîtrise de la nature. Les élagages, nettoyages et réparations des arbres après la tempête de verglas de 1998 nous dit avec force la volonté de solidarité face à la catastrophe mais aussi le besoin d'un retour à la normalité.

Le paysage symbolique, complet et équilibré, est la forme la plus fréquente.

Au stade du paysage symbolique, le jardinier délaisse l'action des histoires séparées et factuelles pour représenter son monde dans sa globalité. La représentation forme alors un tout, personnel, équilibré, stable et très simple. Chaque symbole végétal a trouvé sa place dans l'ensemble plus vaste du jardin. La maison, la voiture ou les plantes des voisins interviennent dans la composition. Le monde représenté est complet et se situe par rapport aux voisins par isolement, emprunt ou opposition. Ces compositions végétales se repèrent principalement par l'équilibre de l'ensemble et l'impression nette que l'on n'est pas chez soi, mais bien chez le propriétaire du jardin dont on mesure facilement la conformité sociale. Chacun des éléments végétaux est utilisé dans sa forme symbolique. La pelouse est verte et exempte de mauvaises herbes ou au contraire forme un pré fleuri. Toute forme intermédiaire serait un signe de négligé.
Rester assis dans un tel jardin ou passer du temps à l'entretenir est décevant car le réel y est peu détaillé, trop prévisible. De plus le moindre petit accident ou maladie sur une plante a un effet énorme sur l'ensemble symbolique. Ils requièrent donc un entretien soigné et une fréquentation maîtrisée.
De nombreux jardins de particuliers finissent par revenir à ce stade. La grande lisibilité du paysage végétal symbolique et les échecs décourageants rencontrés aux stades suivants sont les raisons principales de leurs succès.
Si le monde représenté est dans la mouvance sociale du moment, le jardin correspond alors du "prêt-à-porter" facile à vendre par les entreprises de jardin, en les actualisant de la dernière mode végétale et en garantissant un entretien régulier. Avec quelques retouches personnelles, le plus souvent inconscientes, le propriétaire en fera du "sur mesure" parfaitement intégré à la société.

Avec le besoin de complexité, le jardin disparaît au profit des plantes.

Le stade de la complexité est une quête du réalisme par l'accroissement infini des détails symboliques. Le jardinier va alors chercher une grande diversité de cultivars, tous plus incroyables les uns que les autres pour exprimer l'infinie richesse de la nature. La découverte de toutes les qualités des plantes et de leurs détails est alors à l'honneur. Les nombreuses descriptions des plantes et parties de plantes renforcent ce regard fractionné. La force du symbole maîtrisée aux stades précédents est perdue par sa dispersion en de nombreuses variantes. La composition générale du jardin disparaît au profit d'un regard rapproché sur des parties des plantes.
À regarder les détails des feuilles et des fleurs, le propriétaire du jardin finit par oublier que chaque plante est un individu avec ses besoins spécifiques. Les problèmes de survie du végétal commencent à apparaître. Pour compenser ces échecs, le regard se reporte alors sur les détails liés à la vie de la plante comme par exemple le pH du sol, la fertilisation, le tuteurage ou le nombre d'heures d'ensoleillement. Il manque toujours un paramètre essentiel.
Les plantes ne redeviennent en bonne santé qu'après de très laborieux efforts pendant lesquels l'individu végétal devient le sujet principal. L'intérêt est fixé uniquement sur la réussite de culture de la plante. À ce stade, il ne peut pas y avoir de jardin, car les plantes ne représentent rien, elles ne font qu'exister.
Dans un premier temps, l'absence de jardin est compensée par la reconnaissance du savoir-faire horticole du jardinier. Cette gloire personnelle est difficile à entretenir sans une course effrénée à la difficulté ou à la rareté horticole. Cette période des plantations qui poussent bien mais ne forment pas un jardin crée un pseudo-paradoxe par la confusion métonymique des plantes et du jardin.

Passer de la représentation symbolique à la représentation sensible avec les plantes est aussi difficile qu'avec le dessin.

Les recherches de l'étape précédente ont amené le jardinier à se documenter et à aller voir de nombreux jardins et plantations. Aux significations des plantes et de leurs agencements décrits par les guides, s'ajoutent les effets sensibles des formes, des couleurs, des textures et des parfums qui font le plaisir des visites.
Le besoin de retrouver ces émotions dans son jardin marquent le stade du réalisme. La composition générale, la forme du jardin devient alors un but majeur. La réalisation de cet objectif se heurte de plein fouet aux connaissances logiques acquises précédemment. Serrées les unes contre les autres pour former un ensemble, les plantes perdent leur symbolique individuelle, les détails sont noyés dans la masse et la croissance est loin de l'idéal horticole si chèrement acquis. Quatre plantes soigneusement alignées ne produiront pas un effet d'alignement. La maîtrise des effets sensibles nécessites d'autres apprentissages que ceux des phases symboliques précédentes. Aviez-vous remarqué que la silhouette de certains arbres comme le Salix (saule) ou le Tilia (tilleul) formaient un anneau dense de jeunes rameaux sur son pourtour alors que le centre est transparent entre les grosses branches sombres. De plus, cette forme creuse reste sensiblement identique quand on tourne autour de l'arbre. La logique botanique et l'écologie nous enseignent qu'il y a des rameaux fins de tous les côtés y compris au centre de la silhouette ou nous ne les voyons pas. La forme symbolique de l'arbre est une boule et non pas un anneau. Lorsque l'on se déplace en regardant un anneau il devrait changer de forme.
Les formes des plantes pour produire des effets sensibles de jardin ne peuvent pas être décrites uniquement par la forme physique de la plante. Il faut y introduire d'autres éléments. Les procédures d'entretien et le point de vue de l'observateur sont aussi importants que les formes des plantes elles-mêmes ou de leurs interactions.
Le stade du réalisme est rarement franchi en dessin sur le papier, il ne l'est pas plus avec les plantes. Les essais de représentation sensible par les plantes se réalisent à l'âge adulte. Avec l'acceptation dans l'enfance de ne pas savoir dessiner de façon réaliste et la preuve qu'une réussite sociale est néanmoins possible, le retour au stade de paysage symbolique est facilement accepté. Pour ceux qui apprécient néanmoins un aménagement sensible, la possibilité de le faire concevoir par un architecte paysagiste est une voie sûre et rapide.

Symboles et effets sensibles nécessitent une double maîtrise de la forme des plantation.

Le fait que la majorité des gens lisent et écrivent le jardin dans un mode symbolique n'est pas une raison suffisante pour faire des compositions uniquement de cette façon. Le réalisme permet de partager la sensibilité à l'existant, à la fois pour le trouver beau mais aussi, et c'est très important, pour mettre en place un développement durable. Le mode symbolique, utilisé seul, mène en effet à la destruction des plantes en tant qu'individus mais aussi en tant qu'espèces biologiques. L'absence de représentation des arbres courts, tordus, cassés et même partiellement pourris interdit de conserver des individus qui auraient cet aspect. Plus grave encore, notre maîtrise de la sélection génétique rend possible la parfaite ressemblance de la plante réelle au signe idéalement tracé du symbole. La diversité génétique de la population végétale, nécessaire à la survie de l'espèce, devient un non-sens dans la lecture symbolique du végétal.
À l'inverse, des compositions dénuées de lecture logique sont rapidement détruites par la réécriture quotidienne de l'entretien. Les manuels décrivent en effet les procédures à suivre pour entretenir chacune des plantes ou des formes simples du jardin en un signe parfaitement tracé de sa catégorie horticole. Aucune indication n'est donnée relativement à des options de formes possibles à obtenir par différentes pratiques. Il est encore plus illusoire de chercher des indications d'entretien en fonction des significations à produire ou des effets sensibles à obtenir. Les modes dominantes de l'époque servent de règles univoques.
La description précise des modalités d'un entretien sensible et signifiant des formes des plantes pour les jardins est donc impérativement à inventer et à faire connaître. Le descriptif d'entretien du jardin qui vient d'être conçu deviendra un outil fondamental de sa durabilité. En attendant que le langage sensible redevienne un mode d'écriture partagé par de nombreux jardiniers, les traductions, avertissements, indications et modes d'emplois de ce mode d'appréciation et d'entretien des plantations doivent se multiplier y compris dans la représentation symbolique du jardin.

B. Gadrat


Notes bibliographiques


Liste des illustrations

Dessin de Camille 3 ans et demi, stade des symboles.

Écriture végétale en mode graffiti. Montréal, 1996. Photo B. Gadrat.

Formes symboliques de grands groupes végétaux: arbres, conifères, champignons, arbustes, palmiers. Dessin B. Gadrat, 1997.

Betula pendula, plantation en cépées distantes, développement du branchage sans entretien particulier. Cimetière de Clamart France, 1983. Photo Bruno Gadrat.

Betula papyrifera, forme symbolique d'arbre. Marieville, 1999. Photo B. Gadrat.

Thuja occidentalis, forme symbolique d'arbre feuillu réalisée avec un conifère. Marieville, 2000. Photo B. Gadrat.

Juniperus X pfizeriana, symbole qui raconte des histoires. Au Québec la religion catholique a longtemps réglé la vie quotidienne. Il n'est pas rare de rencontrer près des maisons une petite grotte abritant une vierge. Richelieu, 1997. Photo B. Gadrat.

Jardin de façade, paysage symbolique. Marieville, 2000. Photo B. Gadrat.

Acer platanoides, forme symbolique d'arbre abîmée par la tempête de verglas. Cet érable a été peu touché en tant qu'individu mais beaucoup en tant que symbole. Marieville, 1998. Poto B. Gadrat.

Accumulation de détails signifiants et perte du jardin. Montage et photographies B. Gadrat, 2000.

Jardin de cours arrière, Campanula persifolia bleues et blanches au nord d'une palissade. Effet sensible de fraîcheur et de scintillement similaire à celui de l'eau en cascade. Signification de nature. Prolongation des effets par plusieurs niveaux de contrastes. Marieville 1998. Photo Bruno Gadrat.

Tilia americana en hiver. Pseudo-paradoxe de l'anneau et de la sphère de branchages fins. Chambly, 1997. Photo B. Gadrat.

 


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