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GADRAT BRUNO - ARTICLES

 

Colloque international, "Le virtuel et le lierre. Patrimoine paysager et nouvelles technologies" et autres considérations. - Marieville 2002

Par Bruno Gadrat
Paru dans le bulletin de l'Association des architectes paysagistes du Québec. Paysages Numéro spécial "L'architecte paysagiste hors des sentiers battus". Février 2003.

 

Abbaye de 1101 à 1792, prison centrale de 1804 à 1963, l'abbaye royale de Fontevraud en France est magnifiquement restaurée. Une remise en état qui porte à la fois sur les bâtisses et les jardins. Ce lieu est extraordinaire. N'hésitez pas un seul instant à faire le détour. L'abbaye royale de Fontevraud est actuellement le haut lieu culturel du patrimoine et du multimédia.

Le sujet du colloque concerne notre présent et notre avenir. Les 11 et 12 octobre 2002, ce centre culturel a réuni des intervenants de haut niveau en aménagement, en conservation et en art, pour faire état et débattre des nouvelles technologies qu'il utilisent. Le vivant, les jardins et les paysages étaient au coeur du sujet.

J'ai eu le plaisir d'être invité dans ce colloque international en tant que spécialiste des plantes, du design végétal et des nouvelles technologies.

L'annonce du colloque exprime bien l'ambiance qui s'est dégagée des rencontres:
"Les nouvelles technologies engendrent de nouvelles manières de voir le monde, de nouvelles manières de comprendre le réel. Appliquées à l'art et à l'Histoire, elles permettent d'aller au-delà du connu, de rendre visible l'invisible, accessible l'inaccessible."
Le lieu est propice aux révélations.

Les architectes paysagistes présents dans ces rencontres ont montré qu'ils étaient sur tous les fronts, présents dans les débats à la fois sur les implications fondamentales et sur les applications pratiques des nouvelles technologies.

La réunion des artistes, des conservateurs et des aménagistes a révélé les convergences des conceptions et les potentiels des nouvelles technologies. Les procédés de représentation et la distance au réel qu'ils procurent occupaient une part importante des présentations et des débats. La jeunesse du processus en cours, perceptible dans les communications, augure bien de l'ampleur des développements à venir.

Un faiblesse majeure des utilisations des nouvelles technologies est cependant apparue dans les débats. Les présupposés de ces outils sont mal compris. Le 3D est actuellement magique. Il est considéré comme étant la vérité scientifique. Il occulte et rend difficile les développements informatisés nécessaires des autres systèmes de représentations. Les jardins en contiennent de nombreux qui ne rentrent pas dans le moule du 3D, comme par exemple les chimères de la villa d'Este liées à l'imaginaire néoplatonicien. Rappelons que le 3D est fondé sur la représentation en perspective de l'espace euclidien. Le point de vue unique et l'espace homogène dans toutes les directions sont à la base du modèle dominant.

Dans ce colloque international, j'ai présenté le jardin de la (réalité virtuelle)-1 et sa représentation en 3D par informatique. C'est un petit lieu utile et agréable. Il fait bon s'y asseoir pour rêver l'avenir entre la nature et la dématérialisation. Ce jardin parle des enjeux induits par la généralisation des nouvelles technologies infographiques 3D permettant de représenter les plantes, les jardins et les paysages.

Après la conférence, les gens sont venu me dire leur bonheur d'avoir ressenti la poésie du jardin. Le thème ne leur avait pas échappé. Ils avaient bien saisi l'enjeu de dématérialisation du monde et l'importance du sensible pour éviter la perte de la nature. Mais, qu'il soit poétique semblait inédit.

Est-ce étonnant qu'un architecte paysagiste propose des jardins plaisants et intelligibles ?
L'histoire de l'art des jardins nous rappelle pourtant les ambitions esthétiques et symboliques de ces compositions. Le jardin "à la française" du XVIIe s. impose sa géométrie à la nature domestiquée. Le jardin "à l'anglaise" du XVIIIe s. s'oppose au précédent et prône un retour à la nature. Les émotions et les significations véhiculées par ces deux styles font encore de l'effet aujourd'hui.

En regardant les compositions remarquables de mes contemporains, il me semble que les architectes paysagistes savent encore faire des compositions de jardin à ambition esthétique et symbolique.
Pourtant le public en doute. Les professionnels n'en sont pas certain non plus. Lors du colloque, Jean-Paul Pigeat, directeur du Conservatoire International des Parcs et Jardins de Chaumont sur Loire, en faisant part de son expérience, émettait un doute sérieux à ce sujet. La création des compositions les plus remarquables de son festival est très minoritairement le fait ou sous une direction évidente des architectes paysagistes.

Comme architecte paysagiste, nous avons du souci à nous faire. Après avoir été accusé de ne pas connaître les plantes, c'est maintenant la capacité de composition esthétique qui est mise en doute dans la pratique normale de l'architecte paysagiste.

Suis-je spécial pour me faire dire régulièrement "vous connaissez les plantes", "c'est intéressant", "c'est poétique". En regardant les projets qui se développent actuellement, je suis persuadé du contraire. Les architectes paysagistes font de l'excellent travail, d'une qualité sans commune mesure avec leur niveau dérisoire de rémunération.

Ce n'est pas notre capacité à inventer des jardins et à travailler les territoires à valeur paysagère qui a changé. C'est la signification des mots jardin et paysage qui semble inconnue.

Jardin: n.m. Terrain, souvent clos, où l'on cultive des végétaux utiles (légumes, arbres fruitiers) ou d'agrément (fleurs, arbustes ornementaux). ENCYCL. En Occident, les deux grands types de jardins, s'agissant de compositions importantes, à ambition esthétique ou symbolique, sont le jardin régulier, qui impose sa symétrie à une nature domestiquée (jardin italien de la Renaissance, jardin "à la française" du XVIIe s.), et le jardin paysager, qui simule le pittoresque d'un paysage naturel varié (jardin anglais ou "anglo-chinois" des XVIIIe et XIXe s. [Le petit Larousse illustré 2002]

Les installations artistiques, fort intéressantes, des festivals de jardins sont rarement des jardins. Se situer dans un jardin, n'est pas une condition suffisante pour être un jardin.
À l'opposé, le seul fait d'être des végétaux cultivés n'est pas non plus suffisant. Un champs de maïs ou quelques plantes soigneusement entretenues devant la maison ne forment pas des jardins. Il manque à ces ensembles plantés une composition à ambition esthétique ou symbolique.

Paysage: n.m. Étendue de terre qui s'offre à la vue - Une telle étendue, caractérisée par son aspect. Paysage montagneux, urbain. [Le petit Larousse illustré 2002]. Dans les éditions précédentes, l'étendue était celle d'un pays. On situe mieux l'origine du mot, mais la définition ne faisait pas une assez large place aux paysages naturels; vues sur des étendues de natures vierges ou presque.

Les gestionnaires territoriaux utilisent les systèmes d'informations géographiques pour s'offrir une vue d'ensemble de leurs terres et parlent volontiers des paysages qu'ils présentent sous forme de cartes. Pour quelles raisons ceux-ci font-ils systématiquement appel à des urbanistes plutôt qu'à des spécialistes de l'information, des géographes ou des architectes paysagistes?
Au Québec, le projet de loi 129 définit une catégorie « paysage humanisé » par: "une aire constituée à des fins de protection de la biodiversité d'un territoire habité, terrestre ou aquatique, dont le paysage et ses composantes naturelles ont été façonnés au fil du temps par des activités humaines en harmonie avec la nature et présentent des qualités intrinsèques remarquables dont la conservation dépend fortement de la poursuite des pratiques qui en sont à l'origine."
Le terme de « paysage humanisé » ne correspond pas à la définition qui en est donnée.
La définition correspond à une aire de « biodiversité anthropique ». Le "paysage humanisé" signifie une vue sur une étendue de terre, un beau morceau de pays, qui a été rendu plus humain, plus civilisé, plus supportable à l'homme.
Les architectes paysagistes ne sont pas formés pour être des environnementalistes. La mauvaise utilisation du mot paysage conduira à penser que les architectes paysagistes sont incompétents dans ce domaine et laissera croire que les environnementalistes le sont.
À l'inverse, la loi sur les biens culturels (avant 2012 renommé sites patrimoniaux après) n'utilise pas le mot paysage pour le régir. L'« arrondissement naturel » est défini dans cette la loi par: "un territoire désigné comme tel par le gouvernement en raison de l'intérêt esthétique, légendaire ou pittoresque que présente son harmonie naturelle." Qui pourrait imaginer que les architectes paysagistes sont formés pour désigner, entretenir et créer des « arrondissements naturels »?

Pourquoi aller dans un colloque international afin d'y parler de simulations, de modélisation et de représentations par informatique alors qu'il y a du rattrapage à faire ici?
Parce que le jardin est une simulation, une modélisation et une représentation de ce que le monde est et doit être. Son sujet majeur est notre rapport à la nature: jardin régulier pour la dominer, jardin paysager pour s'émerveiller de sa beauté, jardin écologique du XXe s. pour alerter sur sa destruction et la reconstruire, jardin de la (réalité virtuelle)-1 du XXIe s. pour parler de sa dématérialisation actuelle et la rematérialiser.

Les mots jardin et paysage ne sont que des signes qui doivent nous permettre de désigner une réalité. Cette illumination n'est peut-être pas due uniquement aux pouvoirs magiques d'une abbaye royale du XIIe s. ou à une obsession du cerveau gauche à trouver le mot juste.

Je préfère croire que les auteurs des dictionnaires font leur travail, qu'ils donnent le sens commun des mots. Celui qui permet de communiquer en toute confiance avec l'ensemble de la société, sans se tromper, sans se mentir.

C'est en affirmant le sens commun des mots jardin et paysage que nous pourrons renouer le lien de confiance avec la société et faire valoir notre domaine de compétence.

Je préfère croire que ceux qui utilisent ces mots de façon fantaisiste n'ont jamais eu la chance de les apprendre. Pour apprendre un mot un peu compliqué, il faut le répéter 27 fois, mais avant, il faut le désapprendre si sa signification était erronée. Ce sera long. Il nous faudra répéter, montrer, encore et encore ce qu'est un jardin et un paysage.

C'est en utilisant les mots dans leur sens commun que nous pourrons affirmer la diversité de nos actions en montrant qu'elles s'appuient sur des compétences acquises pour maîtriser la création des jardins et intervenir dans les paysages.

Il nous faudra aussi utiliser le sens commun des mots pour dire que l'on réalise souvent d'autres choses que des jardins, par exemple des installations artistiques, de l'horticulture, de l'ingénierie ou n'importe quoi d'autre. Il faudra préciser que nous n'en avons pas honte et que nos oeuvres dans ces autres domaines sont souvent de grande qualité, même si nous ne sommes peut-être pas les mieux formés pour que ces tâches soient faciles à réaliser.

 

BG

 

 

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Bruno Gadrat Design Végétal: des projets viables, sensibles et signifiants
20021209aapq.html - rev 31/01/2003