© École d'architecture de paysage
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Conception intégrée de l'aménagement

La conception intégrée, un cheminement

Le contexte

Issu d'une formation horticole "Pépinière et Entreprises de jardin" j'ai été nommé responsable du Service parc et jardin de la ville de Bagnolet (environ 50 000 habitants) en périphérie nord-est de Paris. Le service, bien que section du Service de la voirie communale elle-même section des Services techniques de la ville, jouissait d'une très grande autonomie. En effet la relation avec les élus locaux, commanditaires et décideurs des projets se limitait à un choix de priorités et d'affectations de budgets sur les propositions de travaux émises par le Service des espaces verts. Pendant toute ma présence dans ce service aucune remarque et encore moins commande n'a été émise en ce qui concernait les projets, les idées de réalisation. Ce n'est qu'après réalisation que les aménagements faisaient l'objet de quelques remarques d'ordre très général comme "c'est bien, on est bien content d'avoir de la verdure, des fleurs" ou ponctuelle comme "il manque des géraniums dans le bac du haut de la rue Sesto Fiorentino". Section du Service voirie, le Service espaces verts était gérant d'un territoire implicitement attribué aux divers réseaux (routes, éclairage, assainissement) mais inutilisé par ceux-ci.

La découverte d'une nécessité

Un coin de rue avec un peu de place libre sous le trottoir. Le Service des espaces verts, après avoir vérifié auprès de l'ingénieur de la voirie qu'il y avait possibilité d'un volume de terre suffisant pour un arbre, s'enquiert de la disponibilité d'un budget pour planter un "bel arbre" de gros calibre, l'espèce recherchée. Son coût est finalement dérisoire par rapport à la destruction et reconfection d'une partie de trottoir. C'est un tout petit budget qui est rapidement accepté par la municipalité. Pour donner une note plus naturelle à ce bout de trottoir, une forme de cépée est choisie mais la variété initialement prévue d'érable jaspé, Acer davidii, était introuvable en pépinière en grande taille. De fait, des grandes cépées n'étaient pas fréquentes et ce qui semblait le plus "remarquable" s'est trouvé être un Acer saccharinum "Wieri". Pour marquer l'événement, tout en restant discret, le trou de plantation s'est vu attribuer une forme de pentagone se prolongeant dans le bitume de trottoir. Somme toute une réalisation simple correspondant bien à la volonté du Service des espaces verts de mettre en valeur des arbres dans la ville. L'arbre faisant son effet et occupant bien le coin de rue, mais le trottoir restait large et le stationnement difficile dans la rue faisait que quelques voitures venaient se garer à son pied.

Pour empêcher les voitures de nuire à l'arbre, la section voirie a aussitôt imaginé un système d'interdiction du stationnement parfaitement conforme à son savoir-faire alliant robustesse, efficacité et coût faible en disposant de grosses bornes en béton soigneusement réparties pour en mettre peu tout en garantissant l'inaccessibilité. Une des conséquences de cet aménagement est qu'en occupant une partie du trottoir, l'espace de circulation des piétons s'en est trouvé également réduit plaçant l'arbre dans la même situation que les bornes et devenant presque une gêne. De "bel arbre" on est passé à un arbre encombrant.

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Ce premier exemple montre assez bien qu'il ne suffit pas que chacun fasse au mieux de ses compétences propres pour que le résultat global soit intéressant. L'intégration dans l'aménagement se situe donc en dehors des diverses logiques d'action pour cet exemple, celle des espaces verts et celle de la voirie.

On peut également lire cet aménagement comme conquête et reconquête territoriale entre les sections espaces verts et voirie. Le trottoir voirie est alors occupé par l'arbre espace vert. L'espace au sol est réoccupé par les bornes de la voirie en rendant peu convaincante la présence de l'arbre espace vert.

L'intégration se fait dans la lecture de l'espace associant les deux sections dans un seul conflit. Cette lecture amènerait à penser qu'il est sans doute délicat d'essayer de promouvoir une intégration au niveau de la conception de l'aménagement et pourtant c'est à partir d'exemples comme celui-ci que naissent les envies d'intégration très en amont de la conception.

 

Un premier pas

A la suite de cette aventure j'avais imaginé que l'intégration pouvait se faire dans des réunions préparatoires aux aménagements, réunions par ailleurs prévues dans le fonctionnement normal du service.

La rue qui borde la place de la mairie à Bagnolet est en pente et s'élève progressivement au-dessus de celle-ci d'un mètre environ. La place est occupée par un parking et des vieux platanes Platanus acerifolia irrégulièrement taillés. Pour introduire des arbustes et des fleurs sur cette place, le Service des espaces verts avait décidé de profiter du mur soutenant la rue pour lui associer une sorte de bac de 50 cm de haut sur deux mètres de large. Dans ce bac les platanes de la place on fait l'objet d'un drainage spécial le long du tronc et d'une aération des racines dans le bitume, mais ce qui m'importe dans cet exemple c'est qu'une plaque d'égout existant dans la place à l'endroit prévu pour l'extrémité du bac.

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Place de la marie à Bagnolet angle nord ouest État initial

Cette plaque de 1,2 mètre de côté, une fois remontée au niveau du sol, laissait un espace ridiculement petit tout autour d'elle et au lieu d'un bac d'arbustes à fleurs on s'acheminait vers un bac de plaque d'égout. Il semblait que ce soit là un objet typique de promotion d'une conception intégrée de l'aménagement.

Une réunion des responsables des sections voirie et espaces verts est organisée en présence du directeur du service et des contremaîtres chargés de l'entretien de l'espace. Une présentation assez détaillée du projet est faite en évaluant les divers avantages et inconvénients des hypothèses d'aménagement. Cet égout était accessible par une autre plaque située à moins de 5 mètres. Son ouverture d'après ce qui était déjà pratiqué par le service intervenait tous les deux à trois ans. En conséquence, il était intéressant et possible de laisser la plaque au niveau du sol initial avec un géotentile de protection et la terre au-dessus avec les arbustes qui seraient retirés et remis en place lors des rares visites nécessaires.

Cette décision fut adoptée et le bac réalisé. Le processus de conception intégrée de l'aménagement avec réunion de concertation, décision commune et action semblait donc intéressant.

Quelques mois plus tard, un samedi soir où il pleuvait, deux employés de garde à la voirie sont amenés à visiter la fameuse bouche d'égout enfouie. Connaissant bien le réseau de la ville, ils n'ont pas eu trop de peine à se souvenir de son emplacement mais on imagine facilement leur mécontentement de devoir en plus régler un problème d'égout, de ne pouvoir y accéder qu'au bout de quelques heures de pelletage de terre boueuse. Le lundi matin la plaque était au niveau du sol du bac parfaitement calée sur son nouveau socle en parpaing de béton créant l'effet désastreux imaginé dès la conception. Le processus décrit dans cet exemple a donc été insuffisant pour aboutir à un aménagement intégré, car si la conception et la réalisation sont bien entrées dans le processus, la pratique même de l'entretien a été mal évaluée non pas comme faisabilité, mais comme pratique usuelle qui ressurgit dès qu'un ensemble d'événements contextuels trop pressants interviennent.

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Place de la marie à Bagnolet angle nord ouest Bac prévu avec la plaque d'égout existante en extrémité

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Place de la marie à Bagnolet angle nord ouest Le projet du service espaces verts

De fait, les réflexions sur ces événements sont intervenues bien des années plus tard et la pratique d'essai d'intégration relève plus de petits efforts de chacun pour essayer de diminuer les aberrations que l'on sent venir dans l'aménagement à réaliser.

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Place de la marie à Bagnolet angle nord ouest Le résultat des efforts après l'orage

 

Un début de compréhension

La municipalité avait décidé de refaire complètement toutes les cours d'école à raison de deux par année. Ces réaménagements avaient pour objectif de réintroduire la végétation dans ces espaces où le béton laissait la place à quelques arbres et où les pelouses et massifs étaient devenus, à force de piétinement, des espaces boueux redoutés des femmes de service chargées du nettoyage des locaux et parfois des élèves. Inutile de préciser l'appréciation des parents d'élèves au retour à la maison de leurs enfants, ni de décrire la fatigue supplémentaire occasionnée chez les instituteurs et institutrices pour interdire aux enfants l'accès à ces espaces dégradés dont l'attrait est particulièrement fort et en continuité directe avec l'espace bitumé.

La concertation était la règle, elle se traduisait surtout par un cahier de doléance de la part des instituteurs et institutrices se résumant pour le Service des espaces verts à la volonté d'avoir de l'herbe, des arbres, des arbustes, des fleurs, des jeux de cours mais surtout que les enfants ne soient plus sales et ne se blessent pas. De fait, une programmation plutôt légère côté enseignants et des contraintes budgétaires suffisamment fortes côté municipalité pour ne pas tenter d'imaginer des aménagements très compliqués. La réfection des réseaux d'assainissement, des clôtures, du bitume et divers équipements de jeux consommaient la majeure partie des sommes allouées. Un nombre important d'enfants, 180 environ, à l'âge où courir et sauter sont les bases essentielles d'une bonne récréation, un sol marneux peu favorable aux diverses plantes tant herbacées que ligneuses, la présence de peupliers d'Italie Populus nigra Italica déjà âgés dont les racines à fleur de terre et gourmandes en eau rendraient difficile la réussite des plantations demandées. Les restrictions budgétaires pour ce projet ne permettraient pas d'envisager de changement de sol ni la pause d'un arrosage automatique. La solution retenue pour réguler l'eau dans la partie plantée a été de constituer une réserve d'eau creusée dans le sol étanche de la marne. Une tranchée de 50 cm par 50 cm sur toute la longueur de l'espace planté a été remplie avec des cailloux entourés d'un géotextile protecteur. Pendant les fortes pluies ce gros drain accumule l'eau et la restitue ensuite doucement par capillarité du géotetile et pompage des racines. Cette tranchée drainante faisant réservé d'eau comporte un trop plein qui ne devrait pas servir. En effet, la tranchée est là pour mettre en réserve toute l'eau disponible . Sans ou avec très peu de piétinement, ce dispositif est suffisant pour répondre aux besoins en eau des végétaux et notamment pour conserver à la pelouse prévue son bel aspect.

Cette seule réponse horticole était à l'évidence insuffisante à la réussite du gazon. Il fallait ajouter une solution au piétinement. Ainsi posée la question du piétinement ne sort pas de la problématique précédente centrée sur la réussite de pousse de la pelouse. Mes prédécesseurs avaient choisi de ne pas éloigner cette question de leur domaine initial de réflexion et ont clos leurs espaces verts de grillages les rendant inaccessibles. Par contrecoup l'espace vert se situait en dehors de la cour d'école, c'est-à-dire l'opposé d'un des objectifs initiaux. Il y avait donc dans ce projet une nécessité d'intégrer à la conception de l'aménagement un autre domaine de réflexion qui possède une autre logique mais qui, dans les solutions d'aménagement qui en résultent, permet de répondre aux objectifs non atteints par la logique initiale.

Dans cette cour d'école ce domaine de réflexion différent est celui du jeu chez les enfants. Inutile d'essayer de vous démontrer que la logique du jeu chez les enfants n'a pas de rapport avec la logique de pousse d'un gazon. Les enfants du primaire adorent grimper, sauter, courir. Ce n'est pas les seules choses qui les motivent mais les composantes les plus remuantes de leurs activités. Il faut ajouter à cette logique physique les caractéristiques d'établissement et de respect des règles du jeu. La fixation d'interdits et le passage au plus près de ceux-ci sans les transgresser est une autre composante importante du jeu. L'attirance pour grimper et la règle à respecter ont permis d'imaginer un jeu qui permet à la fois de fixer les enfants en bordure de pelouse et aux grandes personnes surveillant les enfants de poser une règle de jeu simple "vous ne devez pas dépasser la barrière". Pour réduire le nombre d'enfants intéressés par la barrière, un autre grand jeu à grimper et à sauter a été disposé plus au centre de la cour suffisamment loin de la pelouse pour que ces deux éléments ne soient pas associés dans le jeu des enfants. La pelouse se trouvant ainsi délivrée d'un piétinement excessif qui n'existe plus que concentré sous la barrière. Le processus de conception intégrée de l'aménagement semble ici s'être correctement appliqué.

 

Vers une première synthèse

Dans l'exemple de la cour d'école, l'intégration de la conception porte sur un ensemble formé d'une part par les conditions de culture de l'herbe et d'autre part par les règles de comportement au jeu des enfants en récréation. Ces deux sous-ensembles n'ont pas de points communs, mais la formation de l'ensemble plus vaste les réunissant est nécessaire pour répondre correctement à l'objectif de base qui est d'avoir de l'herbe en permanence.

L'école sert de centre aéré l'été. Les enfants qui ont fabriqué un crocodile féroce lui ont donné pour rôle de nager dans la pelouse pour croquer la jambe de l'imprudent qui s'y aventurait. Si dans la lecture induite par ce fait on remarque l'introduction d'un nouveau sous-ensemble dont la logique est liée à l'imaginaire de l'interdiction, soutenue par le grand jeu à grimper qui n'est autre qu'un bateau de pirate, il y a lieu de se poser la question de savoir si cette nouvelle intégration doit faire partie du processus de conception. En d'autres termes où commence-t-on et où arrête-t-on de réunir dans un ensemble plus vaste des logiques différentes pour proposer une solution adaptée aux ambitions de l'aménagement.

Les précédents exemples ont montré le rôle très important joué par les divers acteurs: commanditaire, concepteur, aménageur, chargés d'entretien et utilisateurs de l'aménagement. Les logiques dont ils sont porteurs peuvent être utiles ou néfastes au projet.

Une connaissance de divers acteurs qui ont un lien avec l'aménagement semble un passage obligé de la conception intégrée à l'aménagement mais ne résout pas la question de l'invention du projet, sa conception. En effet le super-ensemble de logiques diverses a peut-être une logique propre mais qui reste à découvrir et que nous ne pouvons donc pas utiliser.

On peut raisonnablement penser que l'objectif ou les objectifs de l'aménagement sont directement induits par les divers acteurs et du moins penser que pour réaliser une conception intégrée, il faut rattacher chaque objectif à un acteur pour identifier dans l'aménagement la part de chacun.

Mais la conception intégrée n'est pas une simple gestion de rapport de pouvoirs. C'est la volonté affichée que chaque objectif annoncé puisse être matérialisé - même si la logique propre de l'acteur qui l'avait déterminé était insuffisante pour aboutir à un résultat satisfaisant.

Pour progresser dans l'utilisation de la conception intégrée de l'aménagement, il faut préciser que la réalisation d'un objectif pour un acteur est un objet lisible par lui comme porteur de son objectif. C'est ce jeu entre objet et objectif qui est le plus difficile à mette en oeuvre dans une conception intégrée de l'aménagement, car la confusion entre la matière et ce qu'elle représente est la règle chez la plupart des acteurs. Ils fournissent volontiers les objets porteurs de leurs objectifs mais se sentent rapidement mal à l'aise dès que leurs objectifs se dématérialisent et se séparent des objets.

 

Essai de formalisation de la démarche

Je pourrai résumer la démarche de conception intégrée par le cheminement suivant:

 

  1. Recherche des différents acteurs principaux pour la fabrication, l'utilisation et l'entretien du lieu.
  2. Pour chacun des acteurs, déterminer ses objectifs, le plus souvent au travers d'objets présentés lors des concertations.
  3. Assemblage des divers objectifs dans un ensemble permettant de valider la proposition d'aménagement. 4)Proposition d'un objet "d'aménagement" par le concepteur.
  4. Validation de l'ensemble des objectifs dans l'objet. Chaque objectif doit être identifiable dans l'objet proposé par l'acteur qui l'a initié.

Dans ce changement on remarque que la conception de l'objet "aménagement" reste une boîte noire. Il n'existe en effet pas de méthode d'invention.

Le processus vise à valider la proposition d'aménagement comme porteuse des divers objectifs, chacun identifiable dans des logiques indépendantes.

 

Des limites bien trop présentes

Bien que séduisant, ce cadre général se heurte à une difficulté majeure, celle de la connaissance des acteurs et de leurs objectifs. Indépendamment de l'évolution personnelle des divers acteurs, ceux-ci ne sont pas toujours connus au moment du projet.

Les habitants de la ville de Grenoble quittent volontiers celle-ci pour se plonger dans un bain de nature. Parmi les lieux fréquentés à proximité de la ville une petite rivière tout à la fois "sauvage" et peu inquiétante se situe en territoire abandonné par le monde rural.

Une recherche des différents acteurs montre assez rapidement qu'il n'y a pas de commanditaires pour cet aménagement et que leur recherche se fera ultérieurement. On doit conserver la plus grande souplesse possible dans la conception de l'aménagement pour tenir compte des acteurs éventuels. Aucune hypothèse ne doit être écartée pour la réalisation: entreprise, association militante, complément de revenu pour ruraux, etc. De fait l'objectif fixé devenait simple puisqu'il s'agissait uniquement de renforcer l'image de la nature pour être visible dans ce territoire par les Grenoblois. Les autres objectifs devraient rester ouverts et pouvoir se fixer sur le projet ultérieurement.

Il ne s'agit pas d'une conception intégrée mais d'une conception intégrante de l'aménagement. Pour ce faire, j'ai dessiné une grande série d'objets d'aménagement de divers points de la rivière avec le même objectif d'une visibilité de la nature par les citadins de Grenoble. Mais ce dessin d'objet est prévu pour être utilisé comme dessin d'objectif dans les futures réunions avec les acteurs qui pourraient fabriquer l'aménagement, chacun avec leur logique propre tout en ayant un objectif principal commun.

Ce dernier exemple où la méconnaissance de certaines logiques est explicite dès le départ du processus de conception incite à penser qu'au-delà du principe de conception intégré de l'aménagement, il faut dès à présent réfléchir à des méthodes de travail qui nous permettent de travailler avec des logiques inconnues en répondant néanmoins aux objectifs des détenteurs de ces logiques.


Bibliographie

Contexte professionnel permettant de situer les exemples donnés


[arbre_paysage]

[S]Sommaire
du séminaire

 


Végétaux et paysage urbain [page_de_garde] 1995