Les styles de jardins
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Bruno Gadrat - 29 novembre 1998 - Proposition d'article pour le bulletin_APPQ
Le style du jardin, c'est le langage particulier que celui-ci emploi pour nous raconter le monde. Parlez-vous "Renaissant", "Classique", "Anglo-chinois" ou n'importe quel autre style? La question n'est pas vraiment là. Elle serait plutôt quelles sont les conséquences du style sur mon travail ordinaire?
Bien sûr il faut savoir le reconnaître pour éviter tout contresens. Il ne faut pas rendre incompréhensible un jardin installé dans lequel on intervient. Toute action est dans ou en dehors du style en place. Il n'est donc jamais anodin de remplacer un arbre, un banc ou plus simplement entretenir les topiaires ou les plates-bandes. Toutefois quand on est capable de mettre un nom sur un style et d'en connaître parfaitement la grammaire, il y a de fortes chances pour qu'il soit dépassé. Qu'il ne soit plus notre langage actuel du jardin. Notre style actuel, nous le produisons sans vraiment y réfléchir. Il vient naturellement à quiconque vit dans son temps.
Les principaux styles de jardin suivent les grands mouvements d'idées. Ils sont portés par des cultures qui s'affirment à un moment donné puis semblent disparaître. Alors, en dehors des restaurations de jardins historiques pourquoi se soucier des styles passés? Tout simplement parce que les grandes idées qui ont réussi à changer toute une façon de faire ne meurent pas vraiment. Ce sont des acquis pour l'humanité qui s'intègrent aux cultures suivantes. Ils font donc partie du style actuel, naturellement inclus dans nos façons de faire.
Les
généraux Romains, revenus riches et glorieux de leurs
conquêtes, se faisaient construire de magnifiques villas. Dans
leurs jardins, les statues de marbre racontaient l'histoire des dieux
et des héros. Avec le déclin de l'empire, les
jardiniers inventèrent le topiaire. N'importe quel buisson,
sous la cisaille avertie du jardinier, pouvait devenir une
statue.
Si le topiaire n'occupe pas actuellement le devant de la
scène, il reste néanmoins très présent
dans nos jardins. Ce que nous avons à raconter a
changé. Des ours et des oies sauvages, voilà nos
héros actuels représentés en topiaire aux
floralies de Québec. Et les arbustes en boule présents
dans la plupart des jardins? ne nous nous disent-ils plus rien? Je me
refuse à y croire, le végétal est bien trop
fragile et l'effort pour le tailler bien trop grand. De fait des
éléments de style comme celui-ci s'accommodent
très bien de la complexité et de la variabilité
du monde à représenter.
Ne sommes-nous pas héritiers de la période "classique"
où la géométrie était le moyen le plus
évident et le plus sûr pour partir à la
conquête du nouveau monde. Quel que soit le buisson il est
soumis de la même façon. Tous sont égaux.
N'avons-nous pas profité des apports culturels de la
période "japonaise" qui se joue du réel en faisant
passer les pierres pour de l'eau et les buissons pour des rochers.
Quel que soit le buisson, il apporte devant la maison la rondeur des
blocs erratiques des Laurentides.
Le "modernisme" laisse sa trace. Il nous a permis de nous
dégager des histoires classiques, détaillées,
explicites, en épurant les formes jusqu'à leur plus
grande simplicité. Quel que soit le buisson, la souplesse de
sa boule s'adapte sans se briser.
Mais si nous nous refusons à lâcher notre passé,
le présent est bien là. Ne saurions nous pas voir dans
nos arbustes, le signe de "l'économisme" qui a envahi notre
société? Entre avoir une sculpture dans son jardin et
ne pas en avoir, notre choix de consommateur est déjà
prédéterminé. Dans notre magasinage nous avons
trouvé la forme la moins chère à imposer
à nos arbustes pour qu'ils puissent commencer à nous
conter des histoires, nos histoires.
Cet exemple du topiaire Romain qui s'actualise dans nos jardins n'est pas un cas isolé. Toutes les grandes avancées dans les idées de l'humanité, valorisées par un style, sont encore bien présentes dans nos jardins. Rien n'est anodin. Chaque élément est signifiant.
Nous sommes héritiers et usagers quotidiens de tous les styles passés mais nous y ajoutons aussi le notre, actuel, conforme à notre monde. Pour y parvenir, il ne nous reste plus qu'à surveiller attentivement et à ajuster patiemment les contrastes et les continuités des significations d'une part et des effets sensibles d'autre part.
Bruno GADRAT