Urgence stratégique
Urgence stratégique
Paysage et transition écologique
Bruno Gadrat - Partage sur le thème "Paysage et transition écologique" lancé comme sujet de conversation de la revue paysage 2023
Votre mission, si vous l’acceptez, est de faire que demain soit viable et enviable. Imaginez un instant la demande inverse. Votre mission est d’exterminer la vie sur terre. L’acceptez-vous ?
L’extinction du vivant, nous l’avons collectivement réalisée. Nous l’avons aidé, individuellement par malfaisance involontaire, faute de bienveillance à ce que nous ne savions pas voir ni comprendre. Nous l’avons fait, car l’imaginaire de notre survie, notre paysage vital, passait par une ségrégation, entre nous et un environnement naturel effrayant.
Un environnement qu’il faut fuir pour survivre. Un environnement menaçant qu’il faut réduire à néant pour éliminer le risque réel ou supposé jusque dans sa possibilité d’exister.
Entretenir et développer ce paysage suicidaire pour nous et dévastateur pour la vie sur terre est désormais inacceptable. Ses composantes fondamentales sont profondément inscrites dans notre corps par le réflexe de stress. Une connaissance paysagère biologiquement stabilisée par quelques centaines de milliers d’années d’évolution. Un réflexe qui mobilise toute notre énergie pour fuir ou combattre. Un réflexe désormais toxique, car nous avons réussi l’extermination massive du vivant qui nous effrayait.
Les réflexes culturels de préservation des conditions de vie ont été leurrés par une croyance aveugle que l’argent peut remplacer la réalité en l’achetant.
L’imagination et la visualisation d’un avenir meilleur, faisable immédiatement, sont nécessaires pour avancer dans sa réalisation. C’est le coeur de métier des architectes paysagistes. Les parcs et jardins sont leur média principal pour donner à vivre un modèle réduit, démontrant la vision proposée.
L’imaginaire est une condition essentielle. Une capacité fondamentale pour trouver des solutions justes pour l’avenir. Des solutions valides, en dehors de la boîte pour ne pas reproduire les erreurs. Une nécessité vitale pour sortir de la dynamique actuelle dont le devenir prévisible est catastrophique.
Les paysages naissent. Ils grandissent grandioses ou discrets. Ils meurent dans la douleur d’un chaos infernal ou disparaissent insensiblement dans l’indifférence générale.
Oublions un instant les paysages passés, riches d’exemples. Allons directement au paysage de « développement économique » qui pose problème pour la vie sur terre. Un effondrement qui est à la fois la cause et la conséquence de la dynamique actuelle de ce paysage. Les atomes s’en moquent.
Ce n’est pas un problème physique ou environnemental. Il suffit de retirer l’intervention humaine d’un territoire pour que la nature retrouve sa richesse de vie et en faire la preuve en quelques dizaines d’années. C’est un problème de relation entre ce que nous voyons et faisons dans toute l’étendue de notre territoire. Un problème de paysage.
Avant l’industrialisation et la mondialisation, les paysages s’étendaient sur des pays ou des portions de pays. L’ailleurs, porté par l’imaginaire, était un choix possible pour échapper à la disparition de son monde. La renaissance était un choix possible pour rester sur son territoire en changeant le monde.
Le choix de l’ailleurs n’existe pas dans un paysage mondialisé. La renaissance sur de nouvelles bases est une nécessité pour vivre. Il n’y a pas de planète B habitable en 2050.
L’Histoire et l’archéologie regorgent d’exemples d’effondrements de civilisations brillantes ayant dépassé leur capacité de support. Mais aussi de révolutions réussies sur de nouvelles bases différentes de l’époque précédente. L’Histoire des jardins nous révèle l’invention des nouveaux paysages dans les périodes de transition permettant d’expérimenter un futur imaginé avant de se répandre dans une pratique ordinaire.
Le savoir sur l’environnement, la nature et bien d’autres choses utiles pour être, faire et interagir dans le paysage, je les avais apprises à l’école avant les années 1980. La connaissance du paysage implicite n’était pas à l’ordre du jour. La connaissance, pour l’acquérir, il faut naître ou renaître avec le sujet. L’expérience des autres est insuffisante, voire inutile, pour forger notre propre connaissance. Elle nous procure du savoir et des chemins plus faciles à emprunter, mais ne parcours pas la route à notre place.
Écrire son chemin de connaissance de la nature pour la transition écologique est utile. Avec le GIEC, le but est simple carboneutralité pour la planète en 2050. On peut faire un peu plus ambitieux pour préserver la possibilité de la vie sur la terre et rester dans les limites de la planète à nous supporter.
Un simple tableau en trois colonnes, date, étape, chemin.
Date | Étape | Chemin |
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1980 | Je tiens compte de l'environnement dans mes activités | Travail avec d'autres spécialistes |
1990 | Il y a beaucoup d'autres choses plus importantes que l'environnement | Sensibilisation au sujet |
1995 | L'environnement a de l’intérêt, mais pas pour ce que je fais | Sensibilité générale |
2002 | L'environnement valorise ce que je fais | Intégration de connaissances |
2004 | Des pratiques soucieuses de l'environnement sont intégrées dans quelques activités | Parcs avec naturalisation |
2005 | Des pratiques environnementales sont systématiquement intégrées dans les activités | Stabilisation de berges |
2014 | Premier projet qui comptabilise les impacts environnementaux | Frais de déplacement |
2015 | Tous les projets comptabilisent leurs impacts environnementaux | Comptabilité de l'entreprise |
2016 | Ce que je fais fait des gains environnementaux | Compensation systématique des projets |
2017 | Premier projet qui comptabilise ses externalités | Comptabilité de transition |
2019 | Tous les projets comptabilisent leurs impacts environnementaux et leurs externalités | Toutes les étapes des activités |
2021 | Mes clients, fournisseurs et partenaires de projets sont invités à comptabiliser leurs gains environnementaux | Partage des outils individuels et développements d’outils communs |
2023 | Ce que je fais fait des gains environnementaux et mes fournisseurs aussi | |
3030 | Ce que je fais et le réseau de mes fournisseurs font des gains environnementaux | |
2050 | Pérennité des gains environnementaux pour tous |
Le retour dans les limites de la capacité de support est la transition écologique. C’est une exigence non négociable pour exister. Ce n’est pas un paysage, c’est le seuil d’acceptabilité des paysages qui vont émerger. La transition n’est pas un paysage, c’est un entre deux paysages.
Élever la transition écologique au rang de paysage est une fausse route. Un retard dans la transition nécessaire. Le paysage écologique a peu de chances d’advenir faute d’intérêt. On a fui, combattu et détruit la nature. Apprécier et valoriser l’ennemi de toujours. Changer le but.
Le réflexe instinctif de stress orienté vers des actions de fuite et de combat de la nature doit être réorienté vers des actions de fuite et de combat des causes de la dégradation de la nature. Une remise en cause de nos façons de faire et nos avoirs. La confusion entre notre faire et notre être est une difficulté du chemin.
Un paysage ignorant l’environnement n’a aucune chance d’exister faute de viabilité. C’est prouvé par l’archéologie des civilisations disparues.
Fausses routes à emprunter pour les connaître. Le savoir est insuffisant pour agir.
L’imaginaire est nécessaire pour faire apparaître des paysages intéressants et viables. L’urgence de finir la transition pour retrouver une période stable nécessite que l’intérêt soit enviable. Enviable et faisable, par et pour le plus grand nombre de personnes pour passer du petit exemple anecdotique dans le jardin à une pratique largement diffusée dans la société et son territoire. Les architectes paysagistes ont des compétences pour maîtriser les paysages et sont payés pour en faire la preuve dans des parcs, jardins et divers autres aménagements.
Le paysage tend vers sa représentation aussi bien dans son territoire que dans le regard qu’on lui porte. Le modèle valorisé nous pousse à vouloir corriger les erreurs de la réalité par rapport à l’image du vrai (bon, beau, etc.) paysage. D’abord sur son but, sa destination, son dessein, puis dans les histoires qu’on se raconte et dessine. Un ensemble d’images de son but et ses attributs. Puis dans la modification de la réalité du territoire pour qu’il devienne conforme à sa vision préconçue. Une boucle éternelle de renouveau de la réalité du territoire qui s’éloigne trop de son but et nécessite de redéfinir son imaginaire.
Le stress qui a mené au succès du paysage de surexploitation de la nature a perdu son fondement. On ne risque plus de se faire manger par des bêtes sauvages. La vision d’insuffisance à satisfaire nos besoins essentiels, alimentation, santé, etc. est présentes, le stress chronique. Une vision rassurante avec la nature et pas contre la nature est nécessaire.
Une vision est facilement imaginée par une personne ou un petit groupe de personnes. La création d’une vision est souvent totalement inopérante lorsqu’elle est forgée par un groupe de moyenne dimension. Par un grand groupe, les mécanismes de création sont totalement biaisés par des jeux de pouvoir et de préparation des informations supposées pertinentes.
Pour passer au stade de paysage, la vision doit être intégrée comme désirable par la majorité des habitants du pays.
Son partage et sa diffusion dans l’ensemble de la société nécessitent du temps et des jeux d’interagir qui ajustent la vision pour de multiples situations individuelles et locales.
La confusion actuelle entre le partage de cette vision et la création de cette vision amène des pratiques d’acceptabilité sociales qui relèvent plus de la manipulation de masse que de la co-création idéalement souhaitée.
Donc, nous n’avons pas le choix. Nous devons accepter la mission, garantir son minimum viable. Imaginer un paysage commun enviable jusque dans la maîtrise de sa réalisation sur l’étendue de pays. Les plans, devis et suivis de chantier, c’est aussi dans notre savoir-faire.
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Bruno Gadrat
Orig: 21/07/2022 Rev: 2022/10/16
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