GADRAT BRUNO - ARTICLES
Patrimoine, paysage et patrimoine paysager. - Marieville le 20/01/2002
Texte source pour le texte "Le paysage n'est pas qu'une carte postale" publié dans Le Journal de Chambly du 11 Mars 2003 et du 15 avril 2003Par Bruno Gadrat
- "Le patrimoine paysager, bien plus qu'une carte postale... un milieu de vie à préserver!" - "Comment préserver et valoriser le patrimoine paysager, un bien commun, tout en respectant le droit individuel?" -
Il faut en parler et agir, c'est urgent. Mais pourquoi ne pas appeler le paysage par son nom ?
Le patrimoine est un bien, un héritage d'une collectivité, d'un groupe humain, de ses parents. Déclarer le paysage comme bien patrimonial, le situe davantage dans le passé que dans le présent. Il faut donc immédiatement combattre ce qualificatif en précisant que "ce n'est pas juste une carte postale" pour préserver le présent et l'avenir: "notre milieu de vie".
Le paysage est une étendue de pays s'offrant à la vue. Cette définition des petits dictionnaires est suffisante pour être efficace dans la préservation et la valorisation du paysage. En effet, elle indique ses trois composantes sur lesquelles on va pouvoir intervenir: le pays, la vue sur le pays et la nécessaire relation entre le pays et la vue.
Mais pourquoi est-il important de le préserver et de le valoriser dans notre région ?
Le paysage existe et existera tant qu'il y aura un pays et des gens pour le regarder. Ce paysage ne sera peut-être plus le notre. Comme habitant de de ce coin de pays, collectivement et individuellement, nous nous sommes forgé une vue de référence sur ce qu'il doit être. Parallèlement, nous faisons chaque jour des actions qui le modifie. Lorsque le pays ne ressemble plus à la vue qu'il devrait offrir, il y a un problème de paysage.
De quoi a-t-on peur ? On ne dit pas paysage, ni malade et encore moins que le paysage est malade. Peut-être pour lui éviter d'attendre sur une civière pendant longtemps avant qu'on s'occupe de lui.
Nous sommes tous capable de savoir quand nous sommes malades et de dire "Je ne veux plus être malade.", "Je veux être comme avant d'être tombé malade.", "Je veux garder la santé.". Il en est de même pour le paysage. Nous sommes tous capable de dire: "Ça ne va plus! le paysage devient de plus en plus laid.", "Je veux retrouver le paysage du temps où il était encore beau et le préserver ainsi.".
Mais il ne suffit pas de reconnaître qu'il y a un problème, il faut agir. Quand on est malade on va voir un médecin. Malheureusement, cette attitude n'existe pas avec le paysage. Mais qui sait vraiment quoi faire avec le paysage ? Ne demandez pas à un paysagiste professionnel; il construit des jardins. Ce serait trop simple. Il faut aller voir un architecte paysagiste généraliste ou spécialisé en paysage.
Pour préserver ou valoriser le paysage, il faut au minimum agir sur l'une des trois composantes du paysage en ayant conscience des effets sur les deux autres.
Pour guider la façon de faire le pays, il existe des outils d'aménagement du territoire. Pour tenir compte du paysage, les protections de sites, les schémas d'aménagement et les plans d'urbanisme doivent contenir la façon de faire le pays tel qu'on aimerait le voir. C'est pour cela qu'ils sont établis en tenant compte des avis des élus et des consultations publiques. Pourtant, faute de consultation des spécialistes, la définition des fonctions et des aspects du territoire dans ces documents est actuellement insuffisante pour préserver le paysage. Par exemple, les zones blanches (urbanisation) et zones vertes (agricole) des plans d'urbanisme protègent le territoire agricole, composante essentielle du paysage agricole par opposition au paysage urbain. Mais, le paysage agricole au Québec a pris un caractère industriel. Il n'est plus conforme à l'image bucolique (avec des boeufs) et champêtre (avec des champs) que l'on s'en fait généralement.
Cette piste réglementaire ne doit cependant pas être abandonnée car elle peut permettre de gérer efficacement l'évolution des paysages ordinaires. Il faudra toutefois réécrire ces documents pour qualifier les paysages et vérifier que les prescriptions qu'ils contiennent donnent les résultats escomptés. La marge de manoeuvre est étroite car ces documents doivent être élaborés avec des critères objectifs pour encadrer la production d'un pays observé selon des goûts, des sentiments et des préjugés. On comprend mieux pourquoi les architectes paysagistes ont besoin d'une formation universitaire.
Saviez-vous qu'un article de loi au Québec protège le paysage ? Ne le cherchez pas sous ce terme. Dans la loi sur la protection des biens culturels, le paysage s'appelle "arrondissement naturel". Pourquoi ne faut-il pas dire paysage ? Cette protection des paysages remarquables est toutefois relative car le paysage est instable. Il faut à la fois maintenir le site avec ses pratiques et l'image qu'on s'en fait. Le pays ainsi conservé est alors de moins en moins crédible, de plus en plus une carte postale que l'on apprécie avec nostalgie. La protection des sites ne peut pas non plus être étendue à l'ensemble du territoire. Elle ne peut donc pas s'appliquer au paysages ordinaires, à notre paysage.
Le pays change au gré des actions individuelles. Tant que celles-ci sont compatibles avec le regard sur le pays, il n'y a pas de problème de paysage. La revendication du paysage comme bien collectif ne s'oppose pas à la liberté d'action de l'individu. Si les documents de planification ne respectent pas le regard des gens du pays, il doivent être révisés.
Mais, si l'action individuelle ne préserve pas le paysage collectif, alors, le problème de paysage doit trouver une solution. Pour le résoudre, l'architecte paysagiste utilisera sa créativité. Il trouvera la façon d'agir qui permette à la fois de préserver le paysage collectif et le projet de l'individu.
Maintenant que les mots patrimoine et paysage ont repris leur sens, voyons ces deux termes ensemble.
Le paysage patrimonial est une façon de faire et de voir le pays, héritée de nos ancêtres. On imagine immédiatement un parc d'attraction, un piège à touristes ou un jeu de réalité virtuelle, mais surtout pas un milieu de vie à préserver. Qui voudrait encore vivre en permanence comme nos ancêtres. Préserver le paysage patrimonial est essentiel pour construire l'avenir. Les meilleurs projets d'architecture de paysage permettent de faire coexister dans un même lieu des paysages du passé, du présent et de l'avenir.
Le patrimoine paysager est un héritage qui évoque un paysage. Le jardin paysager a été inventé pour parler des paysages remarquables comme la montagne avec ses rocailles, ses grottes pittoresques ou ses précipices sublimes. Dans nos jardins d'agrément, les plantes vivaces avec quelques pierres s'appellent encore des rocailles, mais ne nous disent plus rien de la beauté des montagnes aux éboulis rocheux se couvrant de fleurs à la fonte des neiges. Dans notre pays, terre d'immigration, les objets venant de nos ancêtres laissent entrevoir la beauté des pays dont ils sont originaires. Les cimetières gardent le souvenir des gens et, pour les plus célèbres, du beau pays qu'ils ont fait.
Le patrimoine paysager ne nous permet donc pas de préserver et d'améliorer notre paysage actuel mais, au contraire, il nous offre un dépaysement, un autre pays ou notre pays d'un autre temps.
Nous devons utiliser le mot paysage pour protéger notre paysage quotidien et le valoriser.
Il faudra aussi ne plus l'employer pour désigner tout et n'importe quoi. L'effet est tout aussi désastreux. Le "paysage humanisé" de la loi sur la conservation du patrimoine naturel préserve des biotopes anthropiques. C'est bien de protéger l'environnement d'espèces dépendantes des actions humaines, mais ce n'est pas notre paysage quotidien, notre pays que l'on aimerait trouver beau chaque jour.
Aimez-vous dire vert à la place de rouge, investissement à la place de dépense injustifiée, urgence à la place d'attente interminable. Remplacer les mots par d'autres ne permet pas d'embellir notre pays, notre paysage. Il ne suffit pas de placer quelques fleurs aux carrefours pour dire qu'on pense encore à lui et qu'on regrette sa disparition. Il faut le regarder maintenant en l'appelant par son nom. Il faut dire quand et où il est beau. Il faut dire aussi quand et où il est laid et demander à des spécialistes du paysage de nous dire comment lui redonner de la beauté.
BG
(Les lois du Québec http://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca)
Tout n'est pas paysage, mais toute action peut en tenir compte
Bruno Gadrat Design Végétal: études de paysage, planification, insertion paysagère
20030129patrimoinepaysager.html - rev 31/01/2003